L'espace lotharingien

C’est essentiellement à Michel Parisse que nous devons une définition nette de la terminologie (Parisse, 2011). Il convient de distinguer trois entités spatiales : la grande Francia Media créée en 843 (carte 1), la Lotharingie étant la partie septentrionale de la Francia Media (cartes 2 et 3), et la Lorraine, choronyme comprenant les actuels départements français de Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle et Vosges.
Michel Parisse a forgé le mot de l’axe lotharingien pour la Francia Media en insistant sur la communication et l’échange à l’intérieur de ce vaste espace notamment par la circulation le long des grandes routes fluviales formées par l’Escaut, la Meuse, le Rhin et la Moselle ainsi que le Rhône et la Saône. Cette image d’une « grande zone de passage » a été confirmée par l’analyse des facteurs économiques (Racine, 1987, p. 218). Il s’agit d’un ensemble géographique étendu entre la mer du Nord et la Méditerranée qui était une création artificielle, bien que Janet Nelson nous ait mis en garde contre une vision téléologique d’un royaume éphémère (Nelson, 2011, p. 254). Il est vrai que lors du partage de Verdun nul ne pouvait savoir que la division en trois de l’empire franc rassemblé par Charlemagne n’allait pas durer : le détail du traité de partage a été négocié par une commission de plus d’une centaine d’hommes qui étaient experts dans la matière, les partages de royaumes étant une coutume franque. Ils ont bien fait leur travail et le résultat peut être considéré comme une division équilibrée, autant au niveau économique et fiscal que par rapport à la distribution des « lieux de pouvoir » de cités épiscopales, abbayes et palais royaux (Nelson, 2011 ; Schieffer, 1961).
Le royaume médian échu à Lothaire Ier et ses grands rassemblait des terres entre l’embouchure des grands fleuves appelée Rhine-Meuse delta aujourd’hui (Cohen et al., 2012) jusqu’au-delà de Rome puisque le duché de Spolète faisait théoriquement partie de la Francia Media. Cette dernière comprenait des sites économiques importants à l’époque tels que Dorestad et Walcheren dans la zone du delta évoqué, des sièges épiscopaux prestigieux comme Milan, Pavie, Trèves et Cologne, et enfin d’importants palais comme Aix-la-Chapelle, Thionville, Gondreville ou Nimègue. La Francia media enjambait en quelque sorte le Patrimonium petri, territoire sous l’autorité papale garanti par les rois francs depuis Pépin le Bref au VIIIe siècle, et incluait la ville de Rome qui était liée à la dignité impériale transmise de père en fils de Charlemagne à Louis le Pieux, puis à Lothaire. Cela s’applique dans une moindre mesure à Aix-la-Chapelle, palais préféré par Charlemagne, et Metz, haut lieu de mémoire de la famille carolingienne, même si on a tendance à relativiser l’importance de ces deux sites pour les contemporains du IXe et Xe siècle depuis quelques années (McKitterick, 2008, p. 157-171).
Cette Francia Media artificielle qui durait de 843 à 855, année de la mort de Lothaire Ier, n’a pas connue de dénomination propre dans les textes de l’époque. Michel Parisse a signalé la formule in media Francia dans une énumération de quelques pagi sous l’autorité de Lothaire en 830 et dans la Vie de l’évêque Aldéric du Mans vers 840 (Migne, PL 115, col. 92 et PL 97, col. 647 ; Parisse, 2011). Cette absence de dénomination pour un si vaste espace n’est pas aussi surprenante que cela puisse paraître. Certes, pendant la douzaine d’années qu’il a existé on n’a pas trouvé de mot particulier pour désigner la Francia Media, mais on n’en avait peut-être pas forcément besoin. Il ne faut pas oublier que les auteurs contemporains avaient l’habitude de désigner les parties résultant des partages de l’empire franc – toujours perçu c omme une structure unie – par des expressions du type Francia orientalis ou occidentalis. Toujours est-il que la dénomination qui s’est imposée pour le royaume du fils de l’empereur Lothaire Ier, regnum Lotharii, rappelle son premier roi, Lothaire II, et que ses habitants apparaissent comme « Lothairiens » à partir de 912 (Parisot, 1898, p. 747-753). Il y a là une particularité terminologique propre à la Lotharingie comparé aux Francs (devenu Français), Alamans ou Danois des royaumes voisins.
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